On
vit la fin d'un monde où on pouvait garder ses semences et les
replanter l'année d'après sans pesticides ni autres engrais chimiques,
comme le faisaient les hommes depuis qu'ils ont découvert qu'en
plantant, ça poussait ! !
Cet été un maraîcher de Lavelanet, commune ariégeoise, a été contrôlé et verbalisé sur le marché ...
Son délit ? Avoir vendu des tomates "hors catalogue" !...
Cette
histoire fait l'objet d'une chronique d'Olivier de Robert, un conteur
ariégeois qui commente l'actualité et qui nous raconte cette injustice
avec humour.
Qu’est-ce que le catalogue de semences ?
Le
catalogue des semences a été créé en 1922 pour établir un registre des
espèces et variétés nouvelles de plantes dont le suivi était assuré par
un comité de contrôle. Une nouvelle variété inscrite était donc protégée
pour une durée de 12 ans avant de tomber dans le domaine public.
Peu
à peu, par décrets successifs au cours des années, la législation à
propos des semences évolue pour protéger les nouveautés.
Les
choses commencent à changer avec, en 1961, la création par les
semenciers professionnels de l'UPOV (Union pour la Protection des
Obtentions Variétales). Ceci cherchent à contrôler le marché de semences
et arrivent à leur fin par le Décret 81-605 du 18 mai 1981, (J.O. Du 20
mai 1981) qui stipule que: « Le ministre de l’agriculture tient un
catalogue comportant la liste limitative des variétés ou types variétaux
dont les semences et plants peuvent être “mis sur le marché” sur le
territoire national. L’inscription sur le catalogue est subordonnée à la
triple condition que la variété soit distincte, stable et suffisamment
homogène.»
Donc
en Europe, pour pouvoir être commercialisées, les semences de la
plupart des espèces cultivées doivent être contrôlées, certifiées et
inscrites au catalogue des semences.
Qu’est-ce qu’une nouvelle variété de plantes ?
Disons
les choses simplement : il s’agit de plantes génétiquement modifiées,
des hybrides censés être plus résistants, offrir un meilleur rendement…
Bien souvent ces hybrides sont clonés les uns avec les autres et
inscrits comme étant une nouvelle semence, ce qui donne l’illusion d’un
grand nombre de variétés. Quid des variétés traditionnelles en faveur de
nouvelles variétés sous la coupe des grandes industries céréalières
affiliées à des groupes tels que Monsanto qui ont la main mise sur ces
semences. Il faut avoir conscience que 99 % des variétés cultivées par
les agriculteurs sont des variétés protégées.
Qu’est-ce que cela implique pour la biodiversité ?
Ressemer
sa récolte entraîne des adaptations dans l'espèce végétale, et favorise
la biodiversité. En effet les plantes s’adaptent naturellement au sol,
au climat, aux conditions locales et de nouveaux caractères apparaissent
spontanément pour résister aux diverses agressions auxquelles elles
sont sujettes. La nature est bien faite et s’adapte toujours pour le
mieux-être et la sauvegarde de la plante. Cela permet également de
réduire les pesticides et les engrais. A l'inverse, les semenciers
adaptent les plantes aux mêmes engrais et pesticides. Ils tendraient
donc plutôt à créer de l'uniformité dans les plantes, où qu'elles soient
cultivées.
Aujourd’hui
la biodiversité est menacée parce qu’on nous impose un nombre limité de
semences. En effet, un document de la FAO (Food And Agriculture
Organization) fait le constat alarmant de cette perte de biodiversité
dans le monde : Plus de 90% des variétés agricoles ont disparu des
champs et 75% de la nourriture provient de seulement une vingtaine
d’espèce alors qu'il existe des milliers d'espèces alimentaires sur la
planète.
La
biodiversité alimentaire a été conservée de façon vivante dans les
champs des paysans pendant des milliers d'années. Il est aberrant
aujourd’hui d’entendre dire qu’alors qu'on a confisqué et congelé des
centaines de variétés anciennes, que sans la technique moderne, on ne
pourrait pas les sauvegarder.
Peut-on cultiver, donner ou vendre des variétés anciennes non inscrites au catalogue ?
Vous
pouvez les cultiver à titre personnel mais il vous est interdit de les
échanger même à titre non onéreux, encore moins de les vendre. De même
il vous est interdit de vendre ou de donner les semences radiées du
catalogue.
Kokopelli
En 1999, est né Kokopelli, une association à but non lucratif.
Le nom de Kokopelli fait référence au petit joueur de flûte bossu,
symbole de fertilité, de joie, de fête, de longue vie chez les
amérindiens depuis plus de 3000 ans.
Cette association lutte
pour la Libération de la Semence et de l’Humus et la Protection de la
Biodiversité alimentaire. Elle permet aussi à tous ceux qui sont
intéressés par un jardinage respectueux de l’environnement de se donner
discrètement les recettes des purins de plantes (ortie, prêle...) et
d'autres ingrédients naturels et peu onéreux, sans se voir accuser de
concurrence déloyale envers les multinationales comme Monsanto.
Elle
conserve plus de 2700 variétés de semences reproductibles. Elles sont
ressemées selon les méthodes de nos grands-parents. L’association
s’engage à distribuer gratuitement des semences reproductibles aux
paysans du Tiers-monde (Afrique, Amérique du sud, Asie, Europe de l’Est,
etc.) pour qu’ils retrouvent une autonomie alimentaire. Elle s'attache
aussi à l'information des citoyens sur des sujets aussi divers que les
abus générés par les brevets sur les semences ou les pressions des
groupes de pression sur les recherches concernant les organismes
génétiquement modifiés (OGM).
Or
Kokopelli dérange les semenciers. L’association vient d’être reléguée
par la Cour de Justice de l’Union Européenne au rang de pirate de
semences. Kokopelli devient hors la loi. Ce qui confirme le fait qu’en
Europe, il n’est plus possible de vendre des semences anciennes, rares,
originales. Seuls les produits standardisés, formatés, homogènes sont
autorisés.
La
Cour de Justice de l’Union Européenne a confirmé le 12 juillet dernier
l'interdiction de commercialiser les semences de variétés
traditionnelles et diversifiées qui ne sont pas inscrites au catalogue
officiel européen. Des associations comme Kokopelli ou Semailles se
retrouvent dans l’illégalité: elles préservent et distribuent ces
semences. Voici un article expliquant la situation en détail :
Conclusion :
Prétextant
une sécurité et une efficacité accrue pour les agriculteurs, le lobby
des semenciers a réussi à mettre en place une liste officielle des
semences qui peuvent être vendues. Toute espèce non inscrite ne peut
être commercialisée. Bien sûr, pour y figurer, il faut remplir des
conditions très strictes, d’abord financières en payant un droit
d’entrée et de maintien au catalogue, puis concernant la DHS
(Distinction, Homogénéité et Stabilité). La variété doit être différente
des autres existantes, avoir des plantes identiques et être
suffisamment stable dans le temps.
Et
que retrouve-t-on dans ce catalogue ? Oh surprise, Une large majorité
de semences hybrides F1 provenant des grosses firmes. En 2004, 96% des
tomates du catalogue étaient des hybrides et 1% seulement des anciennes
variétés (Source : analyse de Kokopelli)
Le système est donc cadenassé et la biodiversité est fortement menacée.
L’ère
est à l’uniformisation, aux gros fruits et légumes, calibrés mais peu
goûteux, venant d’un pays parfois lointain. Or nous avons tous des
producteurs locaux qui se servent encore du bon vieux fumier comme
engrais et qui nous offrent des légumes certes petits et biscornus mais
avec de vrais saveurs. Le plaisir de manger des légumes de nos
grands-mères, des espèces variées et goûteuses nous est aujourd’hui
interdit…
Pour
les agriculteurs, le réensemencement de leurs propres semences sera
interdit ou taxé d’ici peu. Nous perdons toute liberté petit à petit.
Sources :
Pour d'autres chroniques d’Olivier de Robert voici son site :